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Poussez la porte du lycée de Gap, élèves et professeurs vont vous le présenter. De son inauguration à la distribution des prix de fin d'année, en passant par l'association amicale des anciens élèves, devenez intime avec l'histoire d'un bâtiment important de Gap.
(Illustration : Le lycée Dominique Villars, 6 Fi 3149)
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
La construction et l'inauguration
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C'est Napoléon, par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) qui instaure l'existence des lycées. Pris en charge par l'Etat, ils s'implantent peu à peu sur le territoire national, remplaçant les écoles centrales mises en place à la Révolution, et certains collèges anciens. Le terme de "collège" jusqu'au 19e siècle n'a pas la même définition qu'aujourd'hui. Il comprend alors tout l'enseignement secondaire, jusqu'à l'université.
Il y a un collège à Gap, installé, depuis 1822, dans l’ancien couvent des Ursulines.
Prospectus du collège de Gap en 1826. Le corps enseignant est encore essentiellement issu de l'Eglise.
Extrait de Collège de la ville de Gap de plein exercice
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
L’histoire du lycée de Gap commence en 1882, lorsque par un décret ministériel du 19 juin « le collège de Gap est déclaré lycée national ». Nous sommes en plein dans les années des lois Jules Ferry, qui vont profondément modifier l'enseignement en France : l'école devient gratuite, l'instruction primaire obligatoire, et l'enseignement est laïcisé.
On envisage d’abord l’agrandissement du bâtiment du collège, mais ce projet, pour des raisons techniques, est rapidement abandonné.
Plusieurs lieux de construction sont regardés avant que le choix ne s’arrête sur le Champ de Mars (l'actuelle place de Verdun). Ce grand espace découvert, en bordure de ville, sert pour les manœuvres militaires. L'option du Champ de Mars offre plusieurs avantages : le site est suffisamment vaste pour que les normes de construction soient respectées, et aucune expropriation n'est nécessaire.
Le projet est confié en 1883 à M. Puissant, architecte de la ville. Après une période de suspension des travaux, ceux-ci reprennent en 1887 et sont achevés quelques années plus tard par l’architecte J. Blain.
Plan de Gap, avant la construction du lycée. Le Champ de Mars se trouve à l'ouest de la ville, en périphérie.
L'emplacement du collège est également visible, non loin de l'évêché et de la préfecture.
Extrait de Plan général de la ville de Gap par Léon Meizenq. Source gallica.bnf.fr / BnF
Plan de Gap en 1899. Le Champ de Mars a été remplacé par le lycée national et la place du lycée.
Extrait de Gap plan de la ville et de ses environs par F. Chevalier. Source gallica.bnf.fr / BnF
En 1891, le lycée de garçons (la mixité n'est pas encore de mise) est inauguré. C'est le ministre de l’Instruction publique, Léon Bourgeois, qui représente le Gouvernement et préside à l'inauguration.
La fête d’inauguration se déroule sur quatre jours, du 2 au 5 octobre : discours, fête de charité, cavalcade, concert, ascension de ballon lumineux, feux d'artifice, banquet, tombola... le programme est riche et varié ! La fête populaire du samedi 3 octobre à elle seule promet une ménagerie polaire, un jeu de la glissade, un jeu de cruches, une course de taureaux, un bal d'enfants. Le concours agricole départemental et sa distribution solennelle des récompenses viennent compléter les réjouissances.
Le programme publié pour l'occasion, "vendu au profit des pauvres" comme l'indique la couverture, est illustré par Emile Guigues, peintre et graveur embrunais qui donne alors des cours de dessin au collège d'Embrun.
Le programme des festivités pour les 4 et 5 octobre 1891.
Extrait de Grandes fêtes de charité à l'occasion de l'inauguration du lycée de Gap. Album-programme.
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Illustration d'Emile Guigues extraite de Grandes fêtes de charité à l'occasion de l'inauguration du lycée de Gap. Album-programme.
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
La place du Champ de Mars est baptisée pour quelques décennies « place du Lycée ». Quant au lycée, il porte depuis février 1937 le nom du botaniste haut-alpin Dominique Villars.
La vie au lycée
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Les documents conservés dans la bibliothèque des Archives départementales des Hautes-Alpes nous parlent de la vie quotidienne des élèves et de l'organisation de la scolarité.
La garantie première donnée aux familles, dans les prospectus d'information, concerne l'hygiène et la salubrité du bâtiment. Cette mention passe avant la qualité de l'éducation. Nous y lisons la préoccupation d'une époque marquée par l'hygiénisme, où l'Etat se saisit des questions de santé publique, et y applique de nouveaux préceptes qui ont des conséquences sur l'agencement des villes et des bâtiments. En creux, cette mention de la salubrité du lycée, qui nous semble aller de soi aujourd'hui, rappelle les mauvaises conditions d'accueil des pensionnaires dans certains établissements scolaires des siècles passés.
"Le Lycée de Gap, nouvellement construit, offre, au point de vue de l'hygiène, de la salubrité et du bien être des élèves toutes les garanties désirables"
On y donne aux élèves l'éducation qui forme le caractère et la volonté, et l'instruction qui permet au jeune homme d'aborder avec succès la carrière de son choix."
Lycée de Gap, prospectus
Photographie de classe du Lycée de Gap (1933), T 1559
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Pensionnaires, demi-pensionnaires, et externes se côtoient au lycée. Les pensionnaires doivent fournir un trousseau.
Extrait de Lycée de Gap, prospectus de 1952
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Pour les pensionnaires, les sorties du dimanche sont des récompenses du travail.
"Aux élèves bien notés il est accordé une sortie le 1er et 3e dimanche de chaque mois, de 9 heures du matin à 8 heures du soir ; l'élève est remis à ses parents ou correspondants qui doivent le ramener le soir à l'heure réglementaire."
Lycée de Gap, prospectus
Les visites des parents sont autorisées à certaines heures. L'indémodable cahier de correspondance permet par ailleurs de tenir les parents informés des notes et de la conduite de leur enfant.
Couverture et pages intérieures d'un cahier de correspondance du lycée de Gap des années 1910.
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Les années de lycée partagées créent des liens durables entre les élèves. Ils se retrouvent aussi après leur scolarité, grâce à l'Association amicale des anciens élèves, fondée en 1895. Nous gardons trace de l'initiative de l'Association pour créer un monument, au sortir de la Première Guerre mondiale, rendant hommage aux anciens élèves morts durant le conflit.
"Chers Camarades, heureux de renouer avec vous tous des relations d'amitié, interrompues depuis cinq années, nous vous prions instamment de nous aider, dans votre sphère d'influence, au recrutement de nouveaux adhérents [...]
Nous comptons convoquer au cours de l'automne tous les Membres de l'Association à une Assemblée générale où figurera à l'ordre du jour [...] l'édification dans le vestibule du lycée d'une plaque en marbre où seront gravés les noms de tous les ANCIENS ÉLÈVES DU COLLÈGE ET DU LYCÉE MORTS POUR LA PATRIE (de 1870 à nos jours).
Pour réaliser ce dernier projet très coûteux, nous avons besoin de ressources nombreuses, venez donc à nous et amenez-nous des Adhérents. Nous vous en serons profondément reconnaissants."
Livre d'or, extrait du palmarès de la distribution des prix du 12 juillet 1919, page 2
Le 25 mars 1920, un programme musical et une comédie se jouent à la salle du Palace (un théâtre privé qui se trouvait rue Carnot à Gap), au cours duquel une quête est prévue pour financer le monument. La plaque commémorative, placée à l'entrée du lycée, est inaugurée le 2 novembre 1920.
Extrait de Aux anciens élèves du lycée de Gap, morts pour la patrie. Programme, 1920.
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Le monument du souvenir élevé dans le lycée de Gap
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
La distribution des prix
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Moment phare de l'année scolaire, la distribution des prix en juillet, avant les vacances d'été, donne lieu à des discours de la part des professeurs. Sur plusieurs décennies, cet exercice répété chaque année nous permet de suivre l'évolution des mentalités, des conceptions de l'éducation et de l'impact des événements historiques sur les élèves et les enseignants du lycée de Gap.
Invitation à la distribution des prix du 13 juillet 1928.
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
En 1895, le discours de M. Nicollet, professeur de Quatrième, exalte l'éducation du cœur par l'étude des auteurs classiques. Ce discours nous rappelle l'importance prépondérante à l'époque des lettres et des langues anciennes, héritage des "humanités".
"L'éducation du cœur mérite, dans le développement harmonieux des facultés humaines, un soin, une attention particulière ; c'est du cœur que viennent les grandes pensées, c'est le cœur qui rend éloquent, c'est le cœur qui inspire le poète, c'est le cœur qui fait les héros, en un mot c'est le cœur qui fait l'homme ; où il n'y a pas de cœur, il n'y a pas d'être sociable, il n'y a qu'une brute.[...]
En étudiant ces auteurs, on ne peut s'empêcher d'éprouver ces sentiments et, par là, le cœur, sans qu'on s'en doute, se perfectionne dans leur commerce, comme les arbres et les plantes se colorent sous les rayons du soleil [...].
En travaillant ainsi à former votre cœur, nous travaillons donc à votre bonheur individuel, comme nous travaillons au progrès général, au bonheur social."
L'éducation du cœur par l'étude des auteurs classiques. Discours prononcé à la Distribution des Prix du Lycée de Gap.
Le fonctionnement du lycée en 1892, un an après l'inauguration : la liste du personnel
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Photographie du personnel du lycée de Gap, 35 ans plus tard : année scolaire 1926-1927
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Les discours des années de guerre sont forcément marqués par la situation que traverse le pays. Le 12 juillet 1914, quelques jours avant le début de la guerre 14-18, le professeur de lettres du lycée, M. Lebelle, inconscient du déclenchement prochain du conflit, prononce un discours sur la notion d'effort récompensé.
"Car ce jour n'est pas seulement un jour de réjouissance ; ce n'est pas seulement la fête de l'au-revoir que se disent, à la veille des vacances, maîtres et élèves, après un labeur de dix mois en commun. C'est aussi la fête de la justice, c'est le jour où chacun, du plus petit au plus grand, reçoit la récompense de son zèle, et où nous distribuons aux uns les prix, tandis que la Faculté décerne aux autres les premiers grades universitaires. Vous avez peiné, vous avez fait des efforts, vous êtes aujourd'hui d'heureux lauréats."
Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Le ton est bien différent l'année suivante, le 13 juillet 1915, quand le proviseur du lycée, M. Jacques, prend la parole.
"Ma pensée, comme la vôtre sans doute, se reporte invinciblement de l'heure présente à notre dernière Distribution des Prix. Rien alors ne troublait le charme d'une cérémonie qui vous apporte d'ordinaire, avec la récompense de vos efforts et de vos succès, le repos et le plaisir des vacances. [...] Mais voici que des rumeurs sinistres naissent, se propagent, se confirment. Huit jours s'écoulent encore et aux yeux du monde éclate le plus odieux complot qui ait jamais été tramé contre l'Humanité. [...]
Il y a un an, sur cette estrade et sur ces bancs, combien de vos maîtres, combien de vos condisciples siégeaient encore, qui sont partis pour le grand devoir ! Neuf de vos professeurs sont sous les drapeaux, ainsi que trois autres [...]. C'est un de ceux-ci, M. Aury, professeur de Septième, qui tombait récemment au Champ d'Honneur. Trois autres fonctionnaires, assez récemment partis pour avoir été connus de vous, ont eu la même destinée."
Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Personnel du lycée de Gap mort pendant la Première Guerre mondiale
Extrait de Livre d'or, extrait du palmarès de la distribution des prix du 12 juillet 1919
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
L'expression de forts sentiments germanophobes se lit dans le discours de M. Clément, professeur de quatrième, en juillet 1918, dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale. La guerre est aussi idéologique, comme l'attestent les efforts de M. Clément pour discréditer l'école et la culture allemande, avec les éléments de langage caractéristiques de l'époque :
"Si l'école allemande se prétend victorieuse, parce que, aux dires de certains pédagogues d'Outre-Rhin, nos classes auraient manqué de maîtres durant ces quatre années de guerre, attestons bien fort la fausseté de cette allégation en montrant que la croisade philosophique organisée contre les prétentions dominatrices de leur race a ses éléments les plus jeunes et les plus fervents dans les cadres d'élèves de nos établissements.[...]
Trouver la plénitude des existences nationales par la restauration du droit, par la libération des opprimés, par l'établissement d'un régime politique international où les droits de tous, faibles ou forts, seront fondés, en fait, sur les principes juridiques qui règlent les rapports entre individus : cet idéal est celui pour lequel nous combattons ; c'est celui dont nous aurons à jamais racheté le triomphe, dans le sang et les larmes, contre la mégalomanie démente d'une race."
Lycée de Gap. Discours prononcé par M. Clément à la Distribution des Prix du Lycée de Gap
Toutes les matières ont leur moment de gloire ! Ecoutons M. Ruby, en 1930, vanter le sport et la culture physique.
"Est-il donc nécessaire de répéter sans cesse que l'éducation physique [...] apporte son aide à la pédagogie pour la formation du type complet de l'homme normal et parfaitement équilibré. [...]
Dès lors, le spectacle athlétique c'est, dans un théâtre de verdure et de fleurs, la vie en plein air et au grand soleil, saine, franche et rieuse, peu ou pas coûteuse, à la portée de tous, c'est le spectacle le plus simple et souvent émouvant, des plus naturels mouvements humains [...]
Equipe de sport du lycée, 1928
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Ne voyez-vous pas là quelle barrière puissante à opposer à la marée sans cesse montante de la jeunesse criminelle ! Et n'est-ce pas un moyen d'endiguer le flot des plaisirs illicites ? Ne voyez-vous pas tout l'avantage moral et social de l'athlétisme ! [...]"
Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Premier et dernier jour de classe... La rentrée 1927 et la distribution des prix de 1928.
Extrait de Lycée de Gap : distribution solennelle des prix
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
Finissons sur un ton plus léger, avec une pointe d'humour de la part de M. Juillard, professeur de physique, qui prononce le discours de distribution des prix de 1926 :
"Si j'avais à donner une caractéristique du discours d'usage, je dirais que c'est celui que l'on n'écoute pas, ou en tout cas très distraitement. [...]
Ne sortez pas cependant ! Je vous promets d'être raisonnable et de ne pas vous retenir bien longtemps. Rassurez-vous, Mesdames : je ne me débattrai pas la tête échevelée devant un tableau noir sur lequel rôde quelque équation différentielle ; je ne vous présenterai pas des gaz qui auraient eu le très grand honneur de se combiner devant vous avec une violente explosion pour juger ensuite de votre effroi ; je ne vous dirai pas comment en partant d'un morceau de culotte on peut arriver à fabriquer du sucre et quels sont les mystérieux liens de parenté qui unissent ces deux substances si différentes ; je ne vous apprendrai pas pourquoi les écrevisses deviennent rouges quand on les fait cuire, en un mot, je n'ai nulle intention de vous initier aux mille et une malices de la physique et de la chimie ; c'est promis."
Lycée de Gap: distribution solennelle des prix
Voilà notre curiosité piquée, Monsieur Juillard !
Albert Einstein, la "tête échevelée" que mentionne le professeur Juillard ?
Extrait de Le savant Albert Einstein (au milieu) avec sa femme et le docteur Milikan...
Source gallica.bnf.fr / BnF
Pour aller plus loin
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Le monde de l'éducation vous intéresse ? Notre sélection sur l'éducation est faite pour vous.
Les Archives départementales des Hautes-Alpes ont créé une galerie virtuelle sur l'école et l'enseignement dans les Hautes-Alpes, visible ici.
(Illustration : Emile Guigues, Mayonnaise d'alphabet et autres fariboles, 1882)
Source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
LA SÉLECTION
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