Discours d'un professeur de mathématiques à la distribution des prix du collège d'Embrun en 1910.
Mise à jour octobre 2024
Au début du 20e siècle, avait lieu à la fin de l'année scolaire, dans les établissements secondaires, la traditionnelle cérémonie de distribution des prix. Les élèves s’y voyaient récompensés des efforts fournis durant l’année, et des livres étaient remis aux plus méritants. La distribution était précédée d’un discours, prononcé chaque année par un professeur différent, parfois par le proviseur, ou un autre représentant public qui présidait à l'événement.
Nous nous trouvons au collège d’Embrun, le 29 juillet 1910, et c’est au tour du professeur de mathématiques, M. Paillot, de se prêter à l’exercice du discours d’usage.
La presse de l'époque nous permet de suivre à la trace le parcours du professeur. Ainsi, nous voyons arriver dans les Hautes-Alpes M. Paillot « répétiteur général » au lycée de Nancy en novembre 1906 dans Le Républicain embrunais. Et nous apprenons dans Le Petit Briançonnais que M. Paillot reçoit un avancement, et est nommé principal du collège de Pont-de-Vaux dans l'Ain, à la fin du mois de juillet 1910. Cette nouvelle affectation empêchera M. Paillot de prononcer lui-même son discours à la remise des prix cette année-là.
La remise des prix, événement social important où se retrouvent de nombreux notables, hommes politiques, ecclésiastiques, et militaires du département, est relatée dans le journal La Durance :
Le même journal, de couleur républicaine et radicale-socialiste, nous fait comprendre que la cérémonie de remise des prix est perçue dès cette époque comme désuète par une partie de l'opinion publique. Pourtant, cette tradition bien ancrée dans le système scolaire, qui scande la vie des élèves et marque la fin « officielle » de l'année, sera maintenue jusqu'en 1968.
Les discours de remise des prix commencent toujours de la même façon : le professeur qui le prononce s'excuse de retarder les vacances. M. Paillot prend le contre-pied de ce passage obligé, et commence ainsi son discours :
Je ne m'excuserai point d'avoir à retenir quelques instants votre attention ; en venant ici, vous saviez bien que vous n'échapperiez pas au discours.
Le professeur de mathématiques enchaîne sur une rapide histoire de sa discipline pour en prouver l’utilité. Puis viennent une série d’anecdotes illustrant la distraction des mathématiciens, « ces esprits élevés à qui l’amour de la science faisait oublier parfois les réalités de la vie ». D'après M. Paillot, les mathématiciens sont plutôt malchanceux avec les montres !
L’étude des mathématiques fut toujours très absorbante pour les savants ; les distractions auxquelles plusieurs d’entre eux en sont parfois arrivés justifient pleinement le dicton : « distrait comme un mathématicien ».
Jugez-en :
Newton voulant, pour ne pas interrompre son travail se préparer un œuf à la coque, met cuire sa montre à secondes, bijou du plus grand prix à cause de sa précision, et conserve l’œuf à la main. […]
Ampère, surnommé le distrait, examinait, en se rendant à son cours, un petit caillou qu’il avait ramassé. Tout à coup il tire sa montre et s’apercevant que l’heure approche il double le pas, met le caillou dans sa poche, et lance sa montre dans la Seine. […]
Pour terminer on raconte qu’un géomètre, dont le nom m’échappe quittant Paris pour aller se marier en province et craignant d’oublier la cérémonie, avait écrit en grosses lettres, sur son calepin : « me marier en passant à Tours ».
M. Paillot se hâte de préciser qu'il ne cite pas ces anecdotes pour diminuer le respect que les élèves doivent aux mathématiciens, mais au contraire pour l'augmenter. Il conclut en conseillant aux élèves (bien sûr !) de travailler les mathématiques, pour acquérir les connaissances nécessaires « dans la rude bataille de la vie, où, comme toujours, les mieux armés seront les vainqueurs. »
Accédez au discours complet de M. Paillot en cliquant sur l'image ci-dessous :
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- Le discours prononcé au collège d'Embrun en 1910 est représentatif des discours de distribution des prix, qui répondent à des règles formelles précises. S’ils sont souvent solennels et emplis de préceptes moraux, l'humour y est aussi présent. Retrouvez dans Culturicimes Patrimoine un grand nombre de ces discours, qui nous replongent dans l'école d'autrefois et apportent un témoignage sur l’enseignement secondaire des années 1840 aux années 1940. Pour cela, rendez-vous dans la sélection Distribution des prix de l'article Éducation. Bonne lecture !
les références
DIONISI Emmanuelle. Les cérémonies de distribution des prix dans les établissements secondaires de la Seine-Inférieure (1900-1939). In: Études Normandes, 42e année, n°2, 1993. Culture au XXe siècle. pp. 35-44.
ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes