Un recueil sur l'utilité des oiseaux dans l'agriculture, la chasse et l'industrie de la mode à la fin du 19e siècle.

 

Publié en septembre 2023

 

Léon Olphe-Galliard (1825-1893) est un ornithologue d'origine haut-alpine. En 1891, il lègue au département des Hautes-Alpes sa très riche collection d'oiseaux (plus de 6 000 spécimens), ainsi que sa bibliothèque. Ce sont ses collections ornithologiques qui ont fourni l'argument principal à la construction d'un musée départemental à Gap au début du 20e siècle, car il n'existait pas alors de local approprié où les conserver et les exposer.

 

Léon Olphe-Galliard au milieu de ses collections. MMDHA

 

La contribution de Léon Olphe-Galliard aux sciences naturelles ne se limite pas au territoire national. Il est membre de plusieurs sociétés savantes françaises et européennes : la Société linnéenne de Lyon (dès 1846), puis la Société allemande des ornithologues (1851), et la Société helvétique des sciences naturelles (1862). Doué pour les langues vivantes, il maîtrise l'anglais, l'allemand, l'espagnol, et plusieurs langues du nord. Il est en correspondance avec de nombreux naturalistes européens. Il a soigneusement conservé et classé les lettres reçues de ces savants. Elles se trouvent aujourd'hui avec sa bibliothèque au Musée muséum départemental des Hautes-Alpes. 

 

« Sur l'utilité des oiseaux », recueil

 

En 1890, Léon Olphe-Galliard devient membre de la Société d'études des Hautes-Alpes. Il publie dans le Bulletin de cette société un recueil, intitulé Sur l'utilité des oiseaux. Il s'agit d'une compilation de quatre textes d'auteurs différents, portant sur le rôle des oiseaux et leur protection - une préoccupation alors en plein développement.  

Le premier texte, le plus important, est un mémoire de J. W. Lindblad, ornithologue suédois, paru en 1875 dans la Nouvelle revue de l'association de chasse suédoise (Jaegareförbundets nya Tidskrift). Ce mémoire, traduit en français par Léon Olphe-Galliard, interroge l'utilité des oiseaux pour l'agriculteur. Les trois autres textes dénoncent la mode des parures de plumes et le massacre des oiseaux qu'elle engendre.

 

lettre lindbladLettre de Lindblad du 21 novembre 1874, rédigée en français et en suédois. Extrait de sa correspondance avec Léon Olphe-Galliard. MMDHA.

 

Dans ce recueil, Léon Olphe-Galliard ne se contente pas de traduire et compiler les écrits d'autres naturalistes. Il fait un travail d'édition scientifique en ajoutant une introduction et de nombreuses notes, qui reflètent ses opinions personnelles. 

  

Les auxiliaires de l'agriculteur

 

Nous assistons dans la première partie du recueil à un débat entre spécialistes : le Suédois Lindblad, auquel Léon Olphe-Galliard se rallie, met en cause les conclusions de son confrère allemand, C.-W.-L. Gloger. Celui-ci veut défendre à tout prix les oiseaux et animaux anciennement considérés comme méprisables, car il les juge essentiels dans la lutte contre les insectes et les rongeurs. Il inclut dans ces animaux utiles tous les petits oiseaux, mais aussi la buse, la hulotte, le faucon, la corneille - et des mammifères comme le hérisson, l'hermine, le blaireau... Gloger appelle ces animaux « auxiliaires » (c'est-à-dire aides) « de l'agriculteur ». 

 

gloger ouvrageUne traduction française des travaux de Gloger, De la nécessité de protéger les animaux utiles, 1863. BnF

 

Lindblad remet d'abord en question l'utilité réelle des petits oiseaux. Selon lui, les actions combinées de l'homme, de l'environnement et des parasites sont beaucoup plus efficaces dans la lutte contre les insectes que les oiseaux. Il ne suffit donc pas de laisser agir les petits oiseaux pour supprimer les fléaux de l'agriculteur, comme l'école allemande le prétend. Pourtant, cette idée s'est largement répandue en Europe dans l'opinion publique, à une époque où la sensibilité aux questions animales se développe :

Cependant de toutes les idées de Gloger, aucune n'a fait plus d'impression sur le public que son assertion de l'utilité extraordinaire des oiseaux. Il est facile de le concevoir : c'est un peu parce que chacun, étant ami des petits oiseaux, désire les voir protéger, et ne trouve rien de mieux que les raisons d'utilité que l'on peut évoquer en leur faveur.1

 

Pic épeichette, oiseau naturalisé de la collection Olphe-Galliard. MMDHA

 

En ce qui concerne les oiseaux plus gros, que Gloger souhaite voir protéger car ils chassent les rats, Lindblad démontre que loin d'être utiles, certains sont des prédateurs pour le gibier. Il préconise donc qu'ils soient maintenus en nombre raisonnable. Lindblad s'attarde sur l'exemple de la buse, qui ne mange presque pas de rongeurs mais fait son festin de nombreuses perdrix...

 

album chasse illustreeLes petits oiseaux de proie. Extrait de Album de la Chasse illustrée, 1869. BnF

 

Le mémoire de Lindblad, initialement paru dans une revue de chasse, aborde des questions en rapport avec cette activité. Les points débattus reflètent la tension déjà existante dans les années 1870 entre les intérêts des agriculteurs, des chasseurs, et des protecteurs de la nature. Le gibier se faisant de plus en plus rare, il faut prendre soin de sa conservation :

Cette question prend tous les jours plus d'importance. On s'efforce de plus en plus de prendre des mesures rationnelles dans ce but, afin de ne pas se voir privé un jour des plaisirs que la chasse procure, et même des ressources que l'art culinaire peut en retirer.2

Buse variable, oiseau naturalisé de la collection Olphe-Galliard. MMDHA

 

Les parures de plumes

 

Deuxième sujet de préoccupation, le massacre des oiseaux sacrifiés à l'industrie plumassière. Nous sommes en plein essor de la mode des plumes dans les toilettes et les chapeaux élégants, en Angleterre surtout. Cette mode menace les oiseaux exotiques aux plumes chamarrées, mais aussi les espèces d'oiseaux locales, comme s'en alarme le zoologue Jules Vian cité par Olphe-Galliard :

Je crois que nos petits-enfants ne connaîtront pas les nids d'hirondelles ; au printemps dernier un naturaliste de ma connaissance, recevait de Marseille l'offre de lui procurer par milliers des hirondelles en chair. [...] un de mes amis a vu arriver chez un plumassier un panier contenant plusieurs MILLIERS D'HIRONDELLES en chair. Le plumassier lui dit [...] qu'il en perdait les deux tiers, ne pouvant tout dépouiller avant la putréfaction.3

 

ornementation chapeauxOrnementations pour les chapeaux. Extrait de Plume des oiseaux, histoire naturelle et industrie, par J-M-N Montillot, 1891. BnF

 

Comment prévenir la disparition des espèces exploitées pour la mode de l'habillement ? Il n'existe guère d'autre solution que de se raisonner et de proscrire pour soi l'usage des plumes ! À mesure que cette mode répréhensible prend de l'ampleur, des voix s'élèvent, toujours plus nombreuses, pour la dénoncer ou pour l'encadrer.

Un correspondant de Londres signalait il y a quelques jours la décision prise par les dames anglaises, de ne plus se parer des plumes des petits oiseaux exotiques. À ce propos, une dépêche de Simla (Inde anglaise) annonce que le consul vice-royal vient d'adopter un projet de loi pour la protection des oiseaux.4

 

Comedia chapeau 1Chapeau création Gabrielle Chanel. Extrait de la couverture de Comœdia illustré : journal artistique bi-mensuel, 1910. BnF

 

La position de Léon Olphe-Galliard

 

Avec ce recueil, Léon Olphe-Galliard se place dans le camp des ornithologues qui prennent leurs distances avec les protectionnistes défendant la sauvegarde indifférenciée de tous les oiseaux, alors écoutés et influents. Il adopte un point de vue nuancé : s'il est plein de compassion à l'égard de ces animaux, et s'il reconnaît l'importance de les protéger, il prend aussi en compte l'activité humaine et ses différentes réalités, les particularités environnementales de chaque pays, et les dernières connaissances scientifiques sur les espèces en question. Il se rapproche ainsi du courant conservationniste.

Ne poussons donc pas jusqu'à l'exagération un système de protection, dont le moindre inconvénient est de justifier la présomption de ceux qui sont disposés à croire que les secrets de la création sont, sinon dévoilés, du moins sur le point de l'être, et que nous sommes à même de régler l'équilibre de la nature.5

 

oiseaux europe fauvette 1Fauvette sub-alpine. Extrait des Oiseaux de l'Europe et leurs œufs : décrits et dessinés d'après nature, Charles-Frédéric Dubois, 1868-1872. BnF

 

Il insiste aussi sur la nécessité de multiplier les études d'après nature, sans s'arrêter à des théories déconnectées de l'observation. Surtout, que les protecteurs des oiseaux n'empêchent pas les ornithologues de poursuivre leurs recherches  !

Ainsi, à la fin du 19e siècle, tous les ressorts des débats sur la protection animale et sur la place des animaux dans la société sont en place. Ils se poursuivent aujourd'hui, plus vivants que jamais. Léon Olphe-Galliard y contribue dans son domaine, et nous livre le témoignage d'un savant lucide sur les conflits d'usage qui touchent certaines ressources naturelles. L'intégralité de son recueil (36 pages) est disponible en cliquant sur l'image ci-dessous.

   

utilite oiseauxSur l'utilité des oiseaux, par Léon Olphe-Galliard, 1890. ADHA

 

 

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les liens

 

  • Découvrez d'autres ouvrages de Léon Olphe-Galliard dans Culturicimes Patrimoine, en consultant la sélection Faune, chasse et pêche de l'article Nature. Vous y trouverez les plus importantes contributions de l'ornithologue, ainsi qu'une biographie de Léon Olphe-Galliard écrite en 1893 par David Martin, alors conservateur du Musée de Gap. 
  • Retrouvez sur le site du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes une présentation de la vie de Léon Olphe-Galliard, et des vidéos portant sur l'exposition qui lui a été consacrée en 2018-2019, ainsi que sur l'entretien en taxidermie effectuée sur sa collection.

 

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les références et les mentions

 

 

ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes

BnF : source gallica.bnf.fr / BnF

MMDHA : source collections-musee.hautes-alpes.fr / Musée Muséum départemental des Hautes-Alpes (pour les images cliquables)