Une collection ornithologique exceptionnelle a contribué à la construction du Musée départemental des Hautes-Alpes.
Publié en décembre 2023
Mis à jour en février 2024
Avant 1892
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Si vous avez lu notre article sur la première initiative de musée à Gap, vous savez que nous la devons au préfet Ladoucette, au début du 19e siècle, et qu'elle n'a pas abouti à la mise en service durable d'un musée : en effet l'expérience se termine dans les années 1820.
Néanmoins, ce premier musée a ouvert la voie à l'éducation artistique dans le département. Si la majeure partie des collections d'alors a été dispersée, pendant les décennies qui ont suivi, d'autres objets sont venus enrichir les institutions gapençaises grâce à de généreux donateurs : archéologie, minéralogie, botanique, ornithologie...
Faute d'un musée où s'exposer, ces collections s'accumulent dans les locaux de la mairie et de la préfecture. En 1865, les collections sont suffisamment importantes à la mairie de Gap pour que le docteur Eugène Blanc (1813-1876) crée un musée minéralogique et géologique dont il devient le conservateur. En 1868, un arrêté du maire réunit sous le nom de « Musée de Gap » les diverses collections municipales de botanique, minéralogie et archéologie.1
Du côté du Département, un musée archéologique est créé en 1877 dans le vestibule des Archives départementales, alors installées à la préfecture. Avec l'arrivée de l'archiviste Paul Guillaume (1842-1914) en 1879 et la création de la Société d'études des Hautes-Alpes, les collections connaissent un accroissement considérable, à tel point qu'on décide de nommer un conservateur pour s'en occuper : ce sera à partir de 1888 la tâche de David Martin (1824-1918), qui organisera le futur musée départemental et s'en occupera jusqu'à sa mort.
Ainsi, vers 1890, Gap abrite des collections disparates dans des locaux peu adaptés, même si des conservateurs de valeur ont à cœur de les organiser. C'est à ce moment que survient un événement qui va changer la donne : en 1892, l'ornithologue Léon Olphe-Galliard lègue ses collections au département des Hautes-Alpes.
Le legs Olphe-Galliard
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Léon Olphe-Galliard naît en 1825 à Lyon. Les Olphe-Galliard sont une ancienne famille des Hautes-Alpes (Gapençais), partie faire commerce à Lyon au 18e siècle. Le jeune Léon manifeste très tôt un goût pour les sciences de la nature. Il se destine à la médecine, mais la Révolution de 1848 le chasse de Lyon et lui fait abandonner ses études. Il se réfugie en Suisse, où il passera une partie de sa vie.
Membre de plusieurs sociétés savantes, entretenant une correspondance suivie avec de nombreux zoologues et savants de son époque, il refuse deux postes de conservateur qui lui sont proposés dans les musées lyonnais, préférant consacrer son temps à sa passion pour les oiseaux. Il rassemble une immense collection de spécimens et écrit de nombreux articles et catalogues d'ornithologie. Il partage son temps entre Lyon, la Suisse, et Hendaye (actuelles Pyrénées Orientales), où il s'installe à la fin de sa vie pour pouvoir observer les oiseaux migrateurs de la région. Il y meurt le 2 février 1893.2
Souhaitant voir sa collection conservée dans son intégralité, Léon Olphe-Galliard, encouragé par David Martin, choisit d'en faire donation au Département des Hautes-Alpes, le département de ses ancêtres, dans l'espoir d'y développer l'attrait pour les sciences naturelles. En 1893, près de 6000 oiseaux perchés ou en peau, des nids et œufs, des mammifères naturalisés, ainsi qu'une bibliothèque spécialisée d'environ 2600 volumes viennent donc enrichir les collections départementales. À une condition cependant : Léon Olphe-Galliard précise que sa collection doit être installée dans un bâtiment convenable.3
Voilà l'impulsion qui manquait à la construction d'un vrai musée à Gap !
Le Moulin-Neuf
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Une fois le legs accepté, la priorité est de trouver une place à la collection. Les locaux disponibles étant saturés, une salle de l'usine du Moulin-Neuf, propriété d'Auguste Tourrès située à la périphérie de Gap, a été louée par le Département. Le Moulin-Neuf est une minoterie (moulin moderne) et une fabrique de ciment. C'est dans cet espace, loin d'être adapté à la conservation d'objets de musée, que seront transférés en 1894 les oiseaux naturalisés d'Olphe-Galliard. Ils y seront exposés jusqu'en 1906, date à laquelle le nouveau musée sera prêt à les accueillir.
Les Archives départementales des Hautes-Alpes conservent plusieurs lettres d'Auguste Tourrès, dans lesquelles il demande à récupérer l'usage de son local - et augmente un peu plus le loyer à chaque renouvellement du bail conclu avec le Département.
Gap, le 26 juillet 1901
Monsieur le Préfet
En réponse à votre honorée du 24 juillet. J'ai l'honneur de vous faire connaître que la salle où est installée la collection Olphe Gaillard me fait besoin pour mon commerce et que je vous serai bien obligé si au 1 octobre je pouvais en disposer.
Au cas où vous seriez dans l'impossibilité de trouver un local d'ici là, je consentirai à louer pour un an au prix de trois cent cinquante francs.
Veuillez agréer Monsieur le Préfet l'assurance des sentiments dévoués de votre serviteur
A Tourrès
L'idée d'un musée
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Initialement, le projet d'un musée est soutenu à la fois par le Département et la ville de Gap, car il est prévu que la bibliothèque municipale occupe une partie du bâtiment. Le Département fournit les plans du musée et le terrain où il sera construit, la Ville de son côté s'engage à aménager et entretenir les collections.
Mais rapidement, la Ville renonce à installer sa bibliothèque dans les futurs murs, invoquant l'étroitesse du local et des dépenses d'aménagement trop élevées. Des frictions régulières auront lieu entre la municipalité et le Conseil général au sujet des charges que la Ville s'était engagée à assumer. La municipalité consent finalement à une subvention de 30 000 francs pour contribuer à la construction.
Ci-dessous, le plan du futur musée laisse voir les remaniements tentés afin d'installer au mieux la bibliothèque dans une aile du rez-de-chaussée. L'ornithologie, dont la collection Olphe-Galliard, est prévue dans l'aile opposée.
Ne croyons pas que le projet de musée fasse l'unanimité. Le choix du lieu est discuté. Le parc de la Pépinière, emplacement retenu, est jugé trop éloigné du centre ville, ou encore trop humide pour la sûreté des collections4. La presse locale nous enseigne par ailleurs qu'une partie de l'opinion juge le projet démesuré. Le Réveil des Alpes, journal républicain, s'en fait l'écho en 1897, dans un article5 où l'auteur anonyme confond la valeur marchande des collections et leur valeur historique :
Une autre option est sérieusement envisagée : abriter les collections dans le lycée de Gap (actuel lycée Dominique Villars). En effet, une partie du lycée, tout nouvellement construit et inauguré (1891), n'est pas utilisée. Des plans sont réalisés, un premier en 1892, un second en 1900, mais le projet n'aboutit pas.
La loterie
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Le principal obstacle à la construction d'un musée reste la question de son financement. Une solution est trouvée : organiser une loterie à l'échelle nationale afin de récolter les fonds nécessaires. Le 29 mars 1901, la loterie est défendue à la Chambre des députés par François Pavie, député de l'arrondissement d'Embrun.
Voici comment le projet de résolution pour autoriser la loterie décrit la situation des collections haut-alpines en mars 1901 :
Le département des Hautes-Alpes, qui est le plus pauvre de France, possède d'importantes collections zoologiques, ornithologiques, botaniques, géologiques, minéralogiques et archéologiques, une bibliothèque de plus de 15 000 volumes et des archives historiques d'une valeur considérable [...]. Faute de ressources, le département se trouve dans l'impossibilité la plus absolue de construire par ses propres moyens un local convenable pour conserver toutes ces richesses.
Actuellement elles sont entassées sans ordre dans les couloirs, les caves et les combles de l'hôtel de la Préfecture et dans le grenier d'un moulin ; elles sont exposées à l'humidité, à la poussière, aux parasites, et à tous les éléments de destruction.
Pour ces motifs, la construction d'un local spécial, offrant toutes les garanties voulues d'un petit musée simple et sans prétention s'impose d'une façon absolue.
La loterie est autorisée. Il y a 61 lots, d'une valeur totale de 40 000 Fr, dont un premier lot de 20 000 Fr pour le plus chanceux ! 200 000 billets de 1 franc sont mis en vente, et la totalité sera écoulée.
Le tirage a lieu le 28 décembre 1902 dans la salle de l'hôtel de ville de Gap. Laissons le journal La Durance nous raconter l'événement :
Les journalistes annoncent alors l'inauguration du musée autour d'août 19046. Ils sont bien loin du compte ! En 1906, le musée n'est toujours pas inauguré, alors que l'Annuaire illustré des Hautes-Alpes mentionne dans la Pépinière le Musée départemental en construction « qui s'inaugurera très prochainement »...7
Il faudra en réalité attendre quatre années supplémentaires, soit septembre 1910, pour qu'il soit ouvert au public, au terme d'une série de retards dans la construction.
La construction
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Pourtant, tout commençait bien. Dès le lendemain du tirage de la loterie, a lieu l'adjudication des travaux et le choix des entreprises. Le lot principal de maçonnerie est attribué à l'entreprise Joseph Castelli, de Gap. Mais rapidement, des difficultés surviennent avec l'entrepreneur : changement de carrière de pierre, conflit au sujet du plan des fondations ....
Le transfert des collections dans le nouveau musée commence bien avant l'ouverture au public. En septembre 1906, les collections du Moulin-Neuf, dont celle d'Olphe-Galliard, sont transférées. En 1908, c'est au tour du musée archéologique de la préfecture de trouver sa place dans les nouveaux locaux.
Les délais d'exécution du musée ont été considérablement dépassés. Qu'en pensaient les Gapençais ? Une revue écrite en 1908 à l'occasion de la fête pour la création d'un kiosque à la Pépinière, nous en donne un aperçu. Parmi cet ensemble de chansons humoristiques sur la vie locale, les Couplets du gardien du musée retracent l'histoire du bâtiment :
Monsieur Faure un matin ayant fait un beau rêve
Se dit qu'il se pourrait que l'on fasse un Musé'
Il y pensa toujours, il y pensa sans trêve
Et le conseil 'cipal accepta son projet.
Un beau Musé' construit en pleine pépinière
C'est pas de la p'tit' !... pierre
C'est Castelli qui l'a fait
Un beau Musé' coquet par devant et derrière
Vraiment c'était parfait !
Alors au Parlement on vit Monsieur Pavie
Proposer à l'État d'accepter ce projet
D'autoriser aussi une grande Lot'rie
Dont les lots seraient bons et non des ... lots tarés
Mais il n'est pas fini (l' finira-t-on ? peut-être !)
Ce musée sans fenêtres !
Et puis c' que ça peut durer !
Que de générations ne verra-t-il pas naître
Avant d' l'inaugurer !8
En 1908 et 1909, reste encore à aménager l'intérieur du musée (les vitrines entre autres), et à achever le pourtour du bâtiment : niveler et ensabler les allées d'accès, planter des arbustes, installer une clôture de protection...
Finalement, le musée est ouvert à l'occasion des fêtes de la Saint-Arnoux en septembre 1910. Il dispose alors de deux étages d'exposition (rez-de-chaussée et premier niveau). Le sous-sol est consacré aux réserves. Il faudra attendre les années 1980 pour que voie le jour le projet d'agrandissement qui a donné la forme actuelle du Musée avec ses cinq étages.
Pour aller plus loin
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les liens
- Si vous ne connaissez pas l'histoire du premier musée de Gap imaginé par le préfet Ladoucette, voici l'article que nous lui avons consacré dans Culturicimes Patrimoine.
- L'ornithologie et la protection des oiseaux vous intéresse ? Vous souhaitez mieux connaître le travail de Léon Olphe-Galliard ? Plongez-vous dans un recueil de textes qu'il a publié et commenté en 1890, présenté dans cet article de Culturicimes Patrimoine.
- Actuellement, environ 200 animaux naturalisés ont été formellement identifiés comme faisant partie de la collection Olphe-Galliard, décrits et photographiés dans le portail des collections du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes. Retrouvez-les en ligne !
les références et les mentions
- 1 DUSSERRE Georges, « La Société d'études des Hautes-Alpes et le Musée départemental de Gap », Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes, 1982, p. 97-105.
- 2 MARTIN David, Notice biographique sur Léon Olphe-Galliard, 1893.
- 3 OLPHE-GALLIARD Christian, « Aux origines du musée museum départemental des Hautes-Alpes : le legs de Léon Olphe-Galliard », Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes, 2022, p. 85.
- 4 Journal L'Annonciateur, 7 décembre 1902.
- 5 Journal Le Réveil des Alpes, 4 février 1897.
- 6 Journal Le Républicain des Hautes-Alpes, 4 janvier 1903.
- 7 Annuaire illustré des Hautes-Alpes, 1906, p. 53.
- 8 BLANC, ROUGON, Tout Gap y passe, fête pour la construction d'un kiosque à la Pépinière, 1908, p. 27.
ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
MMDHA : source collections-musee.hautes-alpes.fr / Musée Muséum départemental des Hautes-Alpes